Considérée comme un problème de santé public majeur, la dépression touche mondialement plus de 300 millions de personne. La France, est en tête du classement mondial, avec un taux moyen de 12 % de personnes dépressives.
Avec une amplitude variable d’une personne à l’autre et d’un épisode à l’autre, le syndrome dépressif est caractérisé par :
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- La tristesse, les pensées négatives, la perte d’intérêt ou de plaisir, les idées suicidaires
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- La culpabilité, la faible estime de soi
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- Des troubles du sommeil ou de l’appétit, des troubles sexuels
- Un ralentissement psychomoteur (troubles cognitifs), une sensation de fatigue et un manque de concentration, une perte d’initiative, une notion d’effort pour toute action
L’angoisse
Presque toujours présente dans la dépression, elle peut paralyser ou au contraire susciter de l’agitation. Elle créer des symptômes somatiques sur le registre de la peur : oppression dans la cage thoracique, boule dans la gorge, sueurs, palpitations …
« L’angoisse est un état qu’on peut caractériser comme un état d’attente de danger, de préparation au danger, connu ou inconnu »
Par la multitude de symptômes qu’il engendre, le syndrome dépressif « entrave la capacité d’une personne à fonctionner dans sa vie quotidienne ». Il est décrit comme à la fois :
« Celui qui a perdu l’envie. Un menteur par omission ; Ce qu’il dit est vrai, mais il ne voit plus que le côté négatif des choses. Celui qui n’a plus la possibilité de se projeter dans un avenir même proche »
Le risque suicidaire
« L’idée de la mort est toujours présente dans la dépression, elle est parfois même omniprésente, elle peut l’être de façon « implicite ou explicite ». La perte d’espoir, l’impossibilité de se projeter dans le futur conduisent à l’idée de mort ».
La dépression est la première cause de suicide en France. Près de 70 % des personnes qui décèdent par suicide souffraient d’une dépression, le plus souvent non diagnostiquée ou non traitée. Certaines personnes souffrant de dépression ne veulent pas tant mourir, que mettre fin à leur douleur psychique. Dans certains cas, le suicide devient « l’ultime recours » envisagé, pour arrêter de souffrir.
Quelle est l’origine de la dépression ?
Il n’y a pas de modèle explicatif unique, les causes sont multiples. Imparfaitement connues… Elle serait le fruit d’une interaction complexe entre facteurs :
- Biologiques (maladie, alimentation, hormones, antécédents familiaux…)
- Psychologiques (deuil, négligence, traumatismes…)
- Sociaux (pauvreté, isolement…)
- Environnementaux (éducation, valeurs familiales, culture de la société …).
La prévalence entre les sexes est aussi fortement inégale, la dépression touche en France deux fois plus de femmes que d’hommes.
Même si aucune théorie ne saurait à elle seule expliquer les raisons d’un trouble si complexe, plusieurs études, notamment en France et aux Etats-Unis mettent en corrélation un lien existant entre les liens d’attachement insecure et la survenue d’épisodes dépressifs.
Si les dépressions ont toutes un tronc commun : « L’épuisement des mécanismes mentaux habituellement mis en œuvre pour maintenir le psychisme dans un état de satisfaction ou tout du moins d’équilibre », le modèle de l’attachement paraît pouvoir nous éclairer, quant aux modalités d’épuisement (et de maintien) de ces mécanismes mentaux.
Les différents types d’attachement
Les réponses quotidiennes que l’enfant reçoit de ses figures d’attachement (Papa, maman ou substitut) vont former un système (ou modèle) d’attachement. Il sera de type secure, insecure ou désorganisé.
- Lorsque les interactions avec les figures d’attachement de l’enfant sont régulières, bienveillantes, prévisibles, on parle d’attachement « secure ».
- Lorsqu’elles sont irrégulières, imprévisibles, rejetantes, non sécurisantes, l’attachement est « insecure ».
- Lorsqu’elles sont maltraitantes, sévèrement négligentes et que l’enfant est aux prises avec des peurs intenses face auxquelles il n’a aucune solution, ni aucune issue, il est question d’attachement « désorganisé ».
QUELS LIENS ENTRE LA DEPRESSION ET L’ATTACHEMENT ?
1/ Les expériences de pertes et de séparations
Les expériences de pertes (décès, séparation …) jouent un rôle prépondérant dans l’émergence du syndrome dépressif, d’autant plus lorsqu’elles surviennent durant l’enfance. Ces expériences précocement douloureuses, fragilisent l’individu et s’expriment sous la forme d’un deuil pathologique. J. Bowlby, estime que l’expérience de perte, peut contribuer de manière causale à un état dépressif par l’intermédiaire de l’un des trois moyens suivants :
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- En tant qu’agent provoquant. Elle accroît le risque de développement d’une perturbation et détermine le moment où elle se produit.
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- En tant que facteur de « vulnérabilisation », dans le sens où elle accroît la sensibilité de l’individu face à certains évènements.
- En tant que facteur ayant une influence à la fois sur la forme et sur la gravité de l’état dépressif
2/ La formation des Modèles Internes Opérants (M.I.O)
Sous l’influence des réponses obtenues par les figures d’attachement, des pensées type vont se constituer (vis à vis de soi-même) puis se généraliser (vis à vis du monde). Exemples ; A la pensée « Je ne suis pas aimable » va s’ajouter et se généraliser la pensée : « Personne ne pourra m’aimer ». A la pensée « Je ne peux pas faire confiance à mes parents » va s’ajouter et se généraliser la pensée « Les autres vont me trahir »…
Ces modèles de pensées, appelés modèles internes opérants, permettent à l’enfant d’anticiper les réponses à venir en schématisant son environnement. Grâce à ces schémas, l’enfant s’attend à recevoir des réponses négatives, son environnement devient alors prévisible et son sentiment d’impuissance est diminué. En exerçant un certain contrôle sur les réponses à venir en s’y attendant, son anxiété est régulée, contenue.
Les modèles de pensées qui ont permis à l’enfant de s’adapter par le passé, perdurent à l’âge adulte, alors que l’environnement a (radicalement) changé !
Pourquoi ? Parce-que « Plus ces modèles de relations sont activés, plus ils se consolident, tendent à être automatiques et inconscients et ont un impact sur les processus psychologiques et la personnalité ». Et il se trouve que l’enfance dure longtemps …
Elaborés sur un registre insecure, ces modèles de pensées continuent d’influer sur l’humeur de l’individu en favorisant « les idées noires » sur lui-même et sur son environnement : Culpabilité, sentiment de ne pas être à la hauteur, dénigrement de soi-même et du monde, perte d’espoir.
Pas de syndrome dépressif sans pensées négatives
Le jugement et le raisonnement imprégnés par la tristesse, l’anxiété et le pessimisme impactent l’humeur de l’individu. Ce sont ces vieux schémas de pensées qui prédisposent l’individu à la dépression. Du point de vue de l’attachement, ce ne serait pas la dépression qui entraînerait les pensées négatives mais plutôt l’inverse.
En 1984, le psychiatre J. Bowlby décrivait : « L’hypothèse de l’attachement comme modèle de vulnérabilité préexistant à la dépression s’appuie sur l’idée que l’attachement est davantage une caractéristique psychologique durable, liée à un fonctionnement relationnel stable construit dans la prime enfance ».
3 / La régulation émotionnelle et la capacité de mentalisation
Le syndrome dépressif est un trouble de l’humeur, associé à la tristesse, à la culpabilité et presque toujours l’anxiété. Au cours d’un épisode dépressif, les émotions sont difficilement gérées et contenues, elles surgissent sous une forme « brut » et envahissante.
En 2013, une étude américaine, fait clairement ressortir le lien entre les attachements de type insecure, la dépression et la difficulté à réguler ses émotions. Selon ses résultats, le type d’attachement et les symptômes de dépression et d’anxiété seraient médiés par la capacité à gérer efficacement ses émotions. En effet, l’attachement insecure, favorise la difficulté à réguler les affects et accroît le sentiment d’insécurité intérieur.
L’INPES, souligne que les personnes souffrant de dépression réagissent avec une grande sensibilité aux situations de la vie quotidienne, comme s’il manquait un «Espace d’amortissement » entre elles et leur environnement.
Cet « espace d’amortissement », est une composante de la capacité de mentalisation. Cette fonction de mentalisation sous-tend la compréhension des états d’âmes et des expériences émotionnelles, liées aux autres et à soi-même. Elle permet de s’ajuster à l’environnement, de traiter les expériences affectives. Elle contribue de façon essentielle à la régulation des émotions, au contrôle des impulsions, et à la maîtrise de soi même. La capacité de mentalisation « donne du sens à l’expérience interne sans que l’individu soit envahi par ses émotions ou coupé de celles-ci »
Pour qu’elle puisse opérer, il est nécessaire que la figure d’attachement ait au préalable joué son rôle : C’est-à-dire sécuriser et apaiser l’enfant face à ses tensions intérieures parfois intenses, et qu’il n’est pas en capacité de réguler seul. Cette régulation quotidienne va lui permettre d’adapter son ressenti émotionnel sans être submergé, trouver des solutions seul et savoir demander de l’aide en cas de besoin.
A l’inverse, lorsque les figures d’attachement n’ont pas ou peu régulé les émotions de l’enfant en amont, celui-ci reste envahi par ses peurs et son anxiété, qui augmentent à mesure qu’elles ne sont pas apaisées. La carence de régulation émotionnelle qui en découle entrave le développement de la capacité de mentalisation de l’enfant. Cette « carence » pourrait en partie expliquer la survenue d’épisodes dépressifs, anxieux, voir phobiques à l’âge adulte.
Pour conclure …
Même si les premiers liens d’attachement ont une importance non négligeable, rien n’est définitif, ni perdu. Grâce aux nouvelles thérapies, il est possible de retravailler les modèles de pensées et les réactualiser. Ce travail permet de s’extirper d’un destin dont on ne veut pas, parce-que justement il n’est pas choisi …
Sources : INPES ; H.Cuche 1997 ; Douglas 2013 ; Dassonville ; 2007, American Journal of Orthopsychiatry, S.Marchand ; Bowlby : Attachement et perte ; Mercier, Martin, Paillard, 2014 ; Fonagy, Target 2017 ; Slade 2005 ; M.Main 1991, citée par Fonagy ; Freud, Au delà du principe de plaisir.